Le Dieu vagabond
Plate-forme : Bande Dessinée
Date de sortie : 02 Janvier 2019
Résumé | Test Complet | Images | Actualité
Editeur :
Développeur :
Genre :
Bande dessinée
Multijoueur :
Non
Jouable via Internet :
Non
Test par

Nic007


8/10

Scénario et dessin : Fabrizio Dori

Eustis est un satyre, une créature mythologique appelée à naviguer dans la réalité moderne tout en consommant de l'alcool et en racontant des histoires, mais incapable de laisser derrière lui un passé peuplé par des dieux, des demi-dignités, des héros et des fantômes. Lorsqu'il découvre qu'il n'est pas le seul survivant de son monde, cet étrange sans-abri au don d'oracle s'embarque pour un voyage qui fera office de catharsis mais aussi d'aristie, épreuve de valeur que le guerrier devait donner devant la communauté. Souhaitant retrouvé son ami Pan, Eustis sera accompagné dans son odyssée par le Professeur, expert en poèmes anciens et modernes, assoiffé de connaissances; et le fantôme d’un Grec devenu un héros immortel, mais évincé de la grande histoire car incapable de participer à une expédition héroïque en raison d'un mal de dents.  Le travail d'étude et de recherche est évident, car nous passons des citations de l'Odyssée à l'énumération de personnages mineurs tels que Thanatos et Hypnos, à des références à la procession ivre qui suit Dionysos dans sa parusie et au cri bacchique "evoè ». Ce n’est pas une nouveauté pour Dori, déjà douée pour découvrir les récits mythologiques tahitiens de Gauguin. Dans le Dieu vagabond, le protagoniste accuse souvent le christianisme d’avoir dominé le paganisme, puis lance une véritable invective contre Jésus, coupable d’avoir volé la place des divinités. Sans croire que les mots d'Eustis correspondent à la pensée de l'auteur, il est intéressant d'évaluer l'affirmation du personnage en opérant une abstraction. Les dieux sont la personnification de phénomènes naturels, la rationalisation que les hommes anciens tentent de leur donner, et les mythes sont précisément ces histoires qui fournissent aux communautés des explications et des enseignements. La suppression et l'oubli de ces témoignages, en ramenant tout l'itinéraire gnoséologique au seul vrai Dieu qui a imprimé sa parole dans les évangiles, implique l'appauvrissement de la culture et des processus d'extraversion et d'introspection à la portée de l'humanité. .

Le chemin de la rationalisation, dans le monde antique, est aussi exaltant que dangereux et, tout comme le voyage du héros en général et du satyre de la bande dessinée. Ici, dans l'obscurité, on trouve généralement l'illumination, entre les spectres où se produit l'épiphanie, l'incertain devient sûr et l'ascension entraîne une purification qui est aussi une initiation. Dans l'histoire de Dori, il y a aussi de la place pour la transfiguration de la triste réalité quotidienne , dans une réécriture qui reste fidèle à la tradition ancestrale: en entrant dans des royaumes étrangers, le trio à la recherche de réponses rencontre «l'invisible», ceux qui ont été damnés par le monde. Ils n'ont pas été souillés de terribles péchés, ils sont simplement différents et ont été marginalisés. Leur réponse suscite toutefois l'enthousiasme du lecteur, car ces exclus ont pu s'organiser dans une société de plaisir qui, bien sûr, prévoit aussi des charges de commandement et de responsabilité. Toujours en termes de réécriture, les Dieux classiques vont chez le psychanalyste à la recherche d’un sens à une existence qui semble les exclure. Comme mentionné précédemment, ce sont les hommes au début qui ont formulé les réponses à leurs questions en "psychanalysant" la nature qui les entourait. Cet aspect met en évidence un autre aspect du travail de l'auteur, à savoir la présence constante d'un jeu de références entre le passé et le présent, entre l'épopée et l'ordinaire, entre l'inclusion et l'exclusion de l'autre cosmos et le secret qui entoure le monde phénoménal. "La réalité nue est trop belle et féroce pour vous, mortels ", dit Eustis. Beaucoup ont été punis pour leur curiosité, mais nous avons l’impression, à partir des caricatures, qu’il vaut la peine de perdre la vie pour échapper quelques instants aux contraintes de la physique. Le professeur n'est pas le seul à connaître l'histoire: Dori insère Vincent Van Gogh, réinventé en mort suicidaire après avoir constaté l'essence de ce qui existe. Le dessinateur s’inspire parmi les œuvres les plus célèbres du peintre hollandais pour distribuer les couleurs dans ses propres tableaux et pour insérer des sujets dans les compositions: Les tournesols, La nuit étoilée, Le champ de maïs avec des corbeaux volants et L’église d’Auvers ne sont que quelques-unes des œuvres répartis dans une grille qui ne peut pas être définie rigide, mais pas complètement libre, car il y a une certaine préférence pour le réglage sur trois bandes horizontales. Le symbolisme avec lequel l'artiste du XIXe siècle a chargé ses peintures se marie bien avec la force métaphorique du Dieu vagabond, les lignes ondulées qui saturent les lieux hors du temps et les coups de pinceau transmettent un sentiment de dynamisme qui contraste agréablement avec le calme presque marbré de certains personnages. Van Gogh n'est pas le seul point de référence pour l'auteur de Gauguin, on ne peut manquer de mentionner l'hommage respectueux à la céramique grecque et il ne semble pas faux de mentionner également le rouge pompéien, semblable aux thèmes abordés au cours des siècles lointains.

VERDICT

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Le Dieu vagabond n'est ni un manuel mythologique ni un recueil, mais un acte d'amour envers un récit aussi fascinant que formateur, capable d'enquêter à la fois sur ce qui nous entoure et sur notre identité. C’est un hommage écrit avec délicatesse et immédiateté, dénué de didactisme dans les dialogues, même lorsque la réflexion prend le dessus sur l’action.

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