Scénario et dessin : Bast
Le livre de Bast n’est pas là pour ouvrir un débat sur l’histoire ou l’utilité des prisons, non, le livre de Bast est un récit sur ses idées reçues et sur une expérience qui l’a profondément marqué. Un livre sur un apprentissage, celui qu'il pensait donner et celui qu'il a reçu. Quand il a commencé ses ateliers de dessins à la maison d'arrêt à Gradignan (Les maisons d'arrêt sont, pour les prévenus, détenus en attente de jugement, et les condamnés dont la durée de peine restant à purger est inférieure à un an, ou les condamnés en attente d'affectation dans un établissement pour peine), près de Bordeaux, Bast ne connaissait rien de plus que la plupart des gens sur le milieu carcéral, sur la prison et les détenus. Le S.P.I.P (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) le contacte un jour pour lui proposer d'animer des ateliers de bandes dessinées dans le quartier des mineurs. Pas d’expériences particulières requises, juste l’envie de participer et de donner des cours de dessin à de jeunes détenus. Ces ateliers sont basés sur le volontariat, on le rassure en lui expliquant que les plus agités restent dans leurs cellules et que de toute façon les surveillants sont là, prêts à intervenir. Bon nombre aurait refusé cette proposition qui, il faut le dire peut s’avérer dangereuse, inquiétante et qui est assez inhabituelle. Bast a accepté de faire ces ateliers qui ne devaient durer que quelques séances. Quatre ans plus tard il était toujours là, une fois par semaine en prison, à la maison d'arrêt à Gradignan. Steve, Khaled, Jérôme, Will, François, Jafar, Mike, Gary, Sébastien, Malik, Hector, Thomas, Ilam, Ange, Sabir, Belkacem, Jimy, Youri, Muhamed, Taoufik vont croiser sa route une ou plusieurs fois, cela dépendra du temps qui va s’écouler en l'attente de leur procès, de leur transfert, de leur majorité. C'est ce récit, cette expérience que Bast a tenu à retranscrire aujourd'hui dans ce magnifique livre.
Une des scènes les plus importantes est celle qui ouvre la BD. Elle résume assez bien le ton de l’ouvrage et nous met directement face à notre ignorance et nos certitudes. Bast interroge un des détenus Ilam, sur le fait qu'il n'a pas l'air d'aller très bien ce jour-là. Le jeune homme lui répond qu’il ne supporte plus la prison et qu’il veut rentrer chez lui. Ici il est en chienneté. Bast répond à cette remarque en lui expliquant qu’il comprend très bien que la privation de liberté et l’enfermement doivent être durs à supporter, mais Ilam lui explique alors que cela n’a rien à voir, qu’il ne comprend pas ce qu’il veut dire. Être traité comme un chien, pour lui, n'est autre que le résultat de l'action d'un bâtard de surveillant qui lui a confisqué sa Playstation le matin même. Comment arriver à comprendre ce qui est essentiel chez ces jeunes gens ? Comment dialoguer avec eux, comment échanger ? Comment transmettre quand on ne parle pas le même langage et que nos préoccupations sont tellement éloignées des leurs. Bast a dû apprendre, réapprendre, à communiquer, et c'est entre autres grâce aux dessins qu'il y est parvenu. Résumer les nombreuses anecdotes vécues et retranscrites par Bast ne servirait à rien, il vaut mieux les lire directement dans son livre. Attardons-nous plutôt sur ce qui fait l'essence même de son récit. L’échange, le dialogue, l’écoute et la transmission. Bast parle avec beaucoup d'intelligence de ses rapports avec ses jeunes gens censés être des adolescents, mais qui n'en sont plus depuis bien longtemps (il ne les représente d'ailleurs pas sous les traits d'adolescent). Il parle de la violence, de leurs propos, de leurs détresses, de leurs codes, de leurs règles. Lui, l'adulte responsable, se trouve parfois dans des situations qui le dépassent totalement et auxquelles il est incapable de trouver une solution, que ce soit pour un conflit ou tout simplement des réponses à de banales questions. Ce qui est bouleversant dans son ouvrage, c'est de voir l'évolution de ses rapports avec ses élèves, ses envies, ses désillusions et la réalité qui l'oblige sans cesse à revoir ses jugements et ses idées. Pas de questions sur leur passé, pas de confidence, pas de relation personnelle, pas d’investissement : pas d'empathie, que ce soit pour respecter des règles fixées pour des mesures de sécurité par l'administration ou pour se protéger soi-même. D'une séance à l'autre ce ne sont jamais les mêmes, partis, on ne sait où, pour diverses raisons, un travail commencé n'est presque jamais fini. Cela l’oblige alors à donner un sens tout particulier et spécifique aux quelques heures qu’il passe avec eux. Pas de travail sur la durée, les rapports et le contenu des ateliers doivent être optimisés et de toute façon pas d'obligation de résultat. Se pose alors à Bast, les questionnements sur ce qu’il est, sur son travail au sein de la maison d’arrêt et son rapport à sa condition d’artiste. Réflexions bien futiles au vu des propres questionnements des détenus. Ce sont ses réflexions et sa confrontation à ces jeunes gens que Bast a mis en image. Certains des moments les plus intenses du livre sont les échanges de dessins entre les détenus et Bast, ou encore la scène ou l’un d’eux lui demande de lui dessiner une fleur pour l’envoyer à sa petite amie pour qu’elle lui pardonne de ne pas être à ses côtés à ce moment là.
VERDICT
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C’est avec un magnifique dessin assez minimaliste que Bast donne vie à ses personnages. Epuration des détails pour aller à l'essentiel, comme dans ses ateliers. La plupart des plans sont en « caméra subjective », c'est-à-dire des yeux mêmes de l'auteur, pour nous rappeler à quel point il n'était que le spectateur de cette étrange expérience.