7 novembre 1890. Un homme perturbé déambule dans l'East End dans la plus grande confusion, en chemise de nuit et avec une paire de pantoufles de dame aux pieds. Son apparence négligée laisse penser que quelque chose de grave lui est arrivée et pourtant il a totalement oublié la nuit qu'il vient de passer. Arrêté par la police en pleine rue, l'amnésique n'est autre que le Dr Herbert Fowler, un collègue de Watson qui occupe son ancien cabinet dans Paddington. Un agent de police décide de l'escorter chez Sherlock Holmes pour essayer de démêler les fils de cette histoire complexe, dont Scotland Yard se serait bien passé. Cela tombe bien, le détective s'ennuie à mourir et le coup frappé à la porte le soulage de son tourment. La victime a la clavicule gauche cassée, quelques contusions, une rhinite qui doit dater de plusieurs jours, et des vêtements totalement dépareillés. Seul un étrange billet pour une représentation théâtrale de la veille, retrouvé en possession de Fowler, offre un point de départ à l'enquête. Holmes et Watson vont s'empresser d'élucider cette étonnante histoire, où vont s'entremêler une femme retrouvée morte, des personnes disparues subitement, la découverte d'une poudre mystérieuse sur des vêtements et ce fameux ticket de spectacle très particulier. Holmes va chercher le lien et tirer tout ça au clair : Apparemment, tous ces éléments ont comme point commun les représentations d'un magicien Chinois nommé Wu-Jing. Mais bientôt la tâche se complexifie quand le ministre des Colonies Britanniques est visé.

Il existe de nombreuses bandes dessinées Holmes médiocres, ou des adaptations ennuyeuses d'autres figures littéraires, qui se voient ensuite coller l'étiquette de roman graphique. La plupart ne valent pas le papier sur lequel elles sont imprimées. Cet album est différent : on trouve rarement autant d'idées originales réunies entre deux couvertures de livre. La couverture seule est superbe - et ce n'est qu'un début. Tout d'abord, il s'agit d'un roman policier dans le style typique de Conan Doyle. Holmes rassemble les indices d'une affaire et les assemble logiquement. Ce qui est nouveau ici, c'est que vous n'êtes pas simplement face à des résultats d'enquête déterminés, mais que vous pouvez observer le maître développer ses conclusions. Tout ce qui se passe dans la tête de Holmes a un fond bleu clair. Une ligne rouge serpentant sur toutes les pages est le fil conducteur qui lui permet d'assembler ses indices pièce par pièce. Cyril Lieron nous propose un concept d'une rare efficacité, puisque nous sommes vraiment dans la psychée de Sherlock Holmes (au propre comme au figuré) et nous arrivons à suivre le mécanisme de sa logique. L'ordre des indices est montré, tous les lieux sont représentés sur une carte pour s'y retrouver, ce qui rappelle les jeux d'aventure pointer-cliquer si populaire à une époque. La mise en page est un pur bonheur. La réalisation de ce concept graphique a dû représenter un sacré travail. Tant de créativité, tant de variété, et tout cela sans laisser un désordre visuel. En cours de route, le lecteur est confronté à quelques manigances avec le médium de la bande dessinée lui-même, et il n'y a rien à redire non plus sur les dessins. Le dessin de Benoit Dahan s'avère très réussi avec une multitude de détails à l'écran et une représentation élégante de l'Angleterre victorienne. Un album vraiment loufoque avec beaucoup de choses à voir et à découvrir. A noter que cette intégrale disponible en édition limitée comporte un coffret de rangement et deux ex-libris.