En toile de fond s’égrène l’histoire récente de Taiwan alias Formose : entre occupation japonaise et séparatisme musclé avec la Chine continentale devenue communiste. Sous la houlette du Kuomintang et de son leader Tchang Kai Check, le jeune Yang Mu se souvient d’une histoire familiale bousculée. Comme pour exorciser les difficultés de la famille refugiée dans les montagnes pour fuir d’éventuels bombardements sur la côte est, le jeune garçon se plonge dans la beauté vaporeuse d’une nature sauvage. Il s’y construit une vision aussi onirique qu’artistique aux références culturelles métissées.

Dans un syncrétisme du manga et de la bd franco-belge, les visages ronds aux oreilles protubérantes, aux nez exagérément effilés, à l’absence de lèvre, sont dotés de soucis épais en forme de virgule comme un Ying et un Yang. Les extrémités de tous les membres sont rehaussées de carmin sur des visages exagérément pâle, signe chinois de bonne fortune et de joie. Les couleurs froides, aux références subtilement sépia, subliment les dessins aussi variés que virtuoses. Les paysages dépouillés, la propreté des environnements épurent les scènes. Des poissons rouge « voile de Chine » désincarnés, semblent flotter par intermittence dans un récit allégorique ou Guan Ping, tutoie des ciels menaçant à la William Turner et les estampes chinoises sur papier de riz. Ces poissons symbolisent l’arrivée de choses positives dans une existence éthérée, symbole chinois de chance, de persévérance et de sagesse. Installé depuis de longues années à Seattle, la nostalgie de Taiwan résonne comme une nostalgie de l’enfance pour Oken.