"C'est pour cela que je t'ai filmée, Pénélope. La caméra est un bouclier qui nous protège du regard des autres. C'est l'arme qui me permet d'avancer". Le cinéma comme arme de défense mais aussi d'attaque. Cette phrase, adressée par la réalisatrice Claire Doyon à sa petite fille Pénélope, est l'élément clé de Pénélope, mon amour. Pénélope est atteinte depuis sa naissance d'une forme sévère d'autisme, le rare syndrome de Rett, responsable de graves déficits cognitifs. La vie de Doyon a été bouleversée par ce rôle parental difficile, au point de renoncer en partie, ou de modifier, sa carrière cinématographique entamée avec Les Lionceaux, sélectionné en 2002 à la Quinzaine des Réalisateurs. L'incitant à fonder un centre à Paris, Maia, qui s'occupe de l'éducation et de l'intégration des personnes autistes. La cinéaste avait déjà réalisé un film sur sa fille, un moyen métrage intitulé Pénélope, en 2012, et une partie des scènes de ce film, relatives à un voyage en Mongolie pour s'entretenir avec un grand chaman, nourrissent les images de cette dernière œuvre.

Pénélope, mon amour fonctionne comme un patchwork de différents médias, de différents grains et rapports d'aspect, mini Dv, HD, super 8. Il s'agit de matériel vidéo collecté au cours des quinze années de la vie de la jeune fille. Il est possible de faire une distinction entre les images 4/3, plus granuleuses, tournées avec des moyens amateurs, et les séquences 16/9, professionnelles et de haute définition, obtenues avec des caméras vidéo modernes. Cette subdivision correspond à la nature du film, qui oscille entre une œuvre d'archives, bien que familiale, et un journal documentaire. La césure entre ces deux parties correspond à la maturation du projet de Claire Doyon de faire un film, de passer des images privées du film de famille, récupérées plus tard comme séquences, aux images publiques d'un film. Et la caméra reste une présence déclarée, tangible, on la touche, on la nomme. Et le ciné-œil trouve un double poétique dans l'image de la baleine et de son œil, un regard démiurgique, mis en valeur en gros plan, à la manière de Béla Tarr. C'est une œuvre touchante et intime, où la voix off de la réalisatrice crée la trame narrative, sous la forme d'un flux de conscience, et remplit les hors-champs. Par exemple, sur des images amateurs de Pénélope jouant enfant, elle raconte sa visite chez le médecin et le diagnostic bouleversant. Le chemin de la vie de Claire avec Pénélope, comme elle est surnommée, est tortueux, douloureux, passant même par la tentation de devenir une Médée, ce que la réalisatrice n'hésite pas à avouer. Jusqu'à l'acceptation que la pathologie fait partie de la nature et de la vie, et ne s'y oppose pas. Jusqu'à la remise en cause du concept de normalité et de "normal". L'histoire de Pénélope est essentiellement racontée de manière linéaire, mais en commençant par une image du présent, ce qui donne l'impression d'un flash-back. Une scène dans laquelle la mère s'adresse à sa fille en lui expliquant qu'elles déménagent. A plusieurs reprises, Pénélope est interpellée personnellement, y compris dans la phrase du début sur le pouvoir cathartique du cinéma. Comme pour justifier auprès de la jeune fille elle-même l'acte de la filmer. Le cinéma peut être expressément thérapeutique. Il est utilisé dans le domaine médical neurologique pour filmer des patients atteints de troubles cognitifs, par exemple. Et pour la mère, qui l'a réalisé, comme pour la fille, à qui il s'adresse, Pénélope, mon amour est un acte de cinéma total, libérateur, thaumaturgique.