Scénario : Ryosuke Takeuchi
Dessin : Hikaru Miyoshi
d'après l'œuvre de Conan Doyle
Moriarty (Yuukoku no Moriarty) est une série toujours en cours de parution au Japon et qui a connu sept tomes à ce jour aux éditions Shueisha. Chaque héros a son méchant. Et bien que, dans un certain sens, Sherlock Holmes ne soit pas un héros, il a aussi son ennemi juré, James Moriarty, le seul intellectuel capable de rivaliser avec le génie de Baker Street. Cette histoire est celle d'un mythe réinventé, avec Moriarty en tant que protagoniste principal, et explorant sa motivation à devenir le plus grand criminel que la Grande-Bretagne ait jamais connu. La trame commence par la scène la plus classique des affrontements entre Sherlock et son rival: le combat final au sommet des chutes de Reichenbach, lieu de la mort du professeur et qui était destiné à être également la tombe de Holmes. Le scénario de Takeuchi tente d’accorder la notoriété que mérite Moriarty, en séparant son ennemi juré de ce moment, et en utilisant la ressource de flashback pour commencer à nous révéler les origines d’un Britannique aussi mystérieux. Nous étions alors dans l'Angleterre de 1866, l'un des moments les plus importants pour l'empire britannique dans son histoire. Le monde colonial et la révolution industrielle étaient à leur apogée et, dans la société britannique, on pouvait déjà voir, dans toute sa dureté, cette hiérarchie de classes si extrême qu'elle régissait depuis toujours ses relations internes et externes, ce sentiment de supériorité de quelques-uns. La vie dans l'Angleterre du XIXe siècle n'était pas facile à moins d'être de noble lignée, un pourcentage ridicule de la population. Tout dans la vie d'une personne était déterminé par sa lignée, par sa couche sociale, et les frontières entre les classes étaient insurmontables, favorisant ainsi une discrimination insurmontable.
Dans ce contexte, nous connaissons la figure d’un très jeune Albert James Moriarty, le premier-né de la famille Moriarty, une famille londonienne à la longue tradition aristocratique. Cependant, malgré ses origines, les valeurs et la corruption de la société dans laquelle Albert vit le repoussent et le fait de voir chaque jour les injustices provoque en lui un désir intense de changement. Ces angoisses de la révolution verront un jour la possibilité d’être comblé lorsqu’il rencontrera et adoptera dans sa maison deux petits orphelins, qui deviendront à partir de ce moment-là ses frères et sa vraie famille. Ensemble, ils décident de mettre fin aux injustices qui minent la société britannique, à commencer par la famille de Moriarty. L'un de ces deux garçons, William James Moriarty, prouve qu'il possède un intelligence incroyable, un phénomène jamais vu auparavant. Et ce garçon est notre protagoniste, le Moriarty que nous connaissons tous. Après avoir commencé à s'intéresser aux origines du personnage et à fournir des outils et des faits suffisants pour avoir la motivation de survivre à l'avenir dans "Napoléon du crime", le scénario franchit un nouveau bond en avant jusqu'en 1879. Là, les trois frères Moriarty se sont installés dans une zone plus discrète du paysage anglais, un lieu d’aristocratie décadente où ils ont essayé de jeter les bases de leur plan visant à balayer la hiérarchie des classes sociales. De cette manière, la nouvelle famille Moriarty tentera de gagner les faveurs des classes inférieures, démontrant ainsi qu’une autre noblesse est possible, réalisant ainsi un "travail" pour leur projet. Un plan qui se caractérise précisément par la dualité, avec William James lui-même à la tête, étant un professeur universitaire renommé en mathématiques même au début de sa vingtaine, mais réalisant dans l’ombre le travail qu’il aime vraiment : conseiller en crime.
Dans ce quatrième tome de Moriarty, le MI6 va devoir faire sortir l'Empire britannique de la guerre en Afghanistan dans laquelle il est embourbé. William demande au colonel Moran de trouver une solution au plus vite, lui qui dispose de quelques souvenirs dans ce lointain pays, cela sera l'occasion de développer son histoire personnelle. Ce volume comporte une histoire complète intitulée "L'homme au bras armé d'or", un titre qui n'est pas sans rappeler un film de James Bond et c'est volontaire. On retrouve ainsi plusieurs agents secrets impliqués dont les patronymes sont des lettres, tandis que les espions portent un chiffre (voire plusieurs selon leur grade). Le grand projet de James Moriarty n'avance pas réellement, mais la traque des Nobles se poursuit avec véhémence. La cible du jour est le Gouverneur général des Indes, pays qui était alors une colonie britannique, et chaque force en présence est prête à répondre aux coups portés. Quid de Sherlock Holmes dans tout cela ? Il s'avère totalement absent du récit et Moriarty n'a pas beaucoup de pages lui non plus. Dans la partie graphique, Hikaru Miyoshi réalise un travail que l’on peut qualifier d’élégant. C'est un style qui se heurte d'une certaine manière à l'image que nous avons de Moriarty et de l'univers de Conan Doyle, mais qui correspond parfaitement à un contexte de l'Angleterre victorienne. Le trait est fin et net, assez détaillé dans la conception des personnages, et les recherches graphiques sur l'architecture de Calcutta apparaît manifeste. Le pouvoir visuel de certaines scènes est assez manifeste, et un travail efficace a été effectué pour mettre en avant les différentes couches sociales, alors que les personnages principaux dégagent ce charisme et ce magnétisme que le scénario leur donne également. Le volume se conclut par une nouvelle histoire, qui se développera surtout dans le tome suivant, et qui remet en scène les deux grands ennemis de Moriarty. Il faudra toutefois attendre juillet 2019 pour la découvrir.
VERDICT
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Moriarty est une œuvre intéressante à partir du moment où elle soulève le point de vue de l’ennemi juré de Sherlock Holmes, évoquant ses origines et ses motivations pour devenir le génie du crime que nous connaissons tous. La représentation de la société de classe britannique est également un point à prendre en compte, car l'utilisation de ce contexte se marie parfaitement avec l'original qu'a créé Conan Doyle. C’est un manga facile à lire, en particulier grâce à sa structure en chapitres auto-conclusifs, qui ravira les fans du personnage ou du monde de Holmes, ainsi que ceux qui aiment les débats pleins de suspense, de mystères et de luttes intellectuelles. Ce quatrième tome délocalise l'intrigue pour nous envoyer à Calcutta dans une affaire rendant hommage aux célèbres séries d'espionnage britannique, à commencer par James Bond. Cela sera l'occasion de mettre en avant le colonel Moran ...