Le film Diabolo Menthe, réalisé en 1977 par Diane Kurys, partage son nom avec la boisson vert vif qu'Anne Weber et ses amies commandent lorsqu'elles se rendent dans un café un jour après l'école. C'est une sortie excitante, originale, plutôt adulte mais le plaisir d'Anne est coupé court lorsque sa sœur Frédérique entre et reconnaît sa voix. Anne, humiliée, sort au moment où le serveur revient avec un plateau de sodas à la menthe. Le monde des adultes, ou du moins celui des grands adolescents, reste insaisissable. Elle et sa sœur n'ont que deux ans d'écart - Frédérique a quinze ans, Anne treize - mais parfois ce petit écart semble être un abîme, une éternité. Les filles Weber, enfants de parents divorcés, vivent à Paris avec leur mère, qui travaille dans un magasin de vêtements ; elles voient leur père beaucoup moins souvent, bien qu'il les emmène occasionnellement dans des stations de ski ou à la plage. Bien que le contexte joue un rôle important (Kurys, née en 1948, était adolescente à cette époque) - non seulement dans la musique et la mode présentées, mais aussi dans les références à l'assassinat de Kennedy, à la bombe atomique et à la récente guerre entre la France et l'Algérie - il y a une qualité intemporelle et universelle dans nombre des expériences des sœurs, en particulier pour les filles. Grâce à sa structure épisodique, l'ouvrage parvient à aborder tous les sujets, de la puberté aux farces en passant par la politique, les garçons et les mauvaises notes, créant ainsi un portrait détaillé du monde, ou des mondes, dans lequel vivent ses deux protagonistes.

Le monde d'Anne, naturellement, est plus étroit que celui de sa sœur, plus insulaire et confiné, à sa grande frustration. Elle ne demande qu'à être adulte (ou du moins aussi adulte que Frédérique) et à être perçue comme telle par son entourage, y compris, et sans doute surtout, par ses camarades. Pour y parvenir, elle a souvent recours au mensonge : elle vole une photo du petit ami d'été de sa sœur, elle prétend avoir des crampes menstruelles. Elle essaie aussi de persuader sa mère de la laisser porter des bas, par exemple, ou de la laisser prendre le bus toute seule, mais en vain. Les mensonges et autres formes de désobéissance, comme le fait de porter les bas interdits en secret, deviennent un moyen de s'affirmer, de se donner une certaine mesure de pouvoir et de contrôle. Frédérique, à quinze ans, a beaucoup des privilèges et autres marques de maturité relative qu'Anne désire tant. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit une adulte, loin de là. Comme Anne, elle a souvent des problèmes avec sa mère - pour être rentrée tard d'une fête, pour avoir de mauvaises notes - et comme Anne, elle a parfois recours au mensonge et au subterfuge. Au cours de l'année scolaire, elle connaît la joie, l'angoisse puis la désillusion du premier amour, elle est bouleversée par la disparition soudaine d'une de ses amies et devient active sur le plan politique, rejoignant un groupe antifasciste - une décision qui entraîne une bagarre , une suspension de trois jours et, plus douloureusement pour elle, la rupture de son amitié de longue date avec une fille nommée Perrine. Les relations - avec les amis, les parents, les frères et sœurs, les professeurs, les intérêts romantiques et d'innombrables autres catégories - sont compliquées, et Diabolo Menthe les dépeint dans toute leur complexité, leurs fluctuations, leurs bons et mauvais côtés. Cathy Karsenty a su adapter avec justesse cette jolie madeleine de Proust.