Un crapaud portant un chapelet d’œufs traverse une route goudronnée au milieu de la forêt. Dans un vacarme assourdissant, il se fait percuter par un véhicule. Il va alors puiser dans ses dernières forces pour rejoindre un étang et permettre à ses œufs d’éclore. Un seul survivra, Alyte. Si la réalité s’est montrée très vite menaçante, chacune des rencontres va enrichir Alyte et lui offrir d’autres points de vue sur le monde. À son tour le courageux petit crapaud devra porter un chapelet d’œufs mais aussi la révolution de la forêt face à la léthalyte, cette ligne droite menaçante qui traverse la forêt et frappe le vivant sans raison.

Au travers de l’épopée du petit crapaud accoucheur, c’est un regard sur le vivant qui adopte un point de vue tout à fait pertinent. L’humain n’est jamais montré, en revanche les conséquences de sa violence mortifère qui frappe sans raison le vivant est représentée à hauteur de chaque espèce que l’on rencontre et dans la globalité d’un écosystème. Ainsi, Jérémie Moreau nous offre la possibilité d’adopter plusieurs points de vue une fois décentrés du nôtre. Mais il ne se contente pas simplement d’un récit militant. Il fait de ses causes une source d’inspiration pour construire une véritable épopée haletante que l’on traverse avec ferveur. Son dessin est d’un niveau de beauté, de virtuosité et de force jamais atteint dans ses œuvres précédentes pourtant déjà de très haute tenue. Son écriture et sa maîtrise du découpage permettent au récit de dire beaucoup dans des pages souvent muettes. Quant à son usage de la couleur, il joue avec habileté entre les noirs, les teintes douces naturelles du vivant et sa désormais signature : un usage vibrant et renversant des fluos. Un immense coup de cœur pour un récit aussi prenant que pertinent, qui amène à questionner son regard sur le vivant. Et une splendeur graphique d’un bédéiste assez habile pour être reconnaissable au premier coup d’œil sans jamais se caricaturer lui-même.