Dix ans après Spirou - Le journal d'un ingénu, Émile Bravo revient pour raconter sa version du plus célèbre groom de bandes dessinées avec le premier volume de la quadrilogie Spirou - L'espoir malgré tout. Mais que fait Spirou pendant que les Allemands occupent la Belgique ? Si nous lisons les histoires publiées dans Le Journal de Spirou au cours du conflit, nous réalisons que la guerre n’est jamais mentionnée dans les pages de bandes dessinées. Les aventures se succèdent normalement, incluant humour, enquêtes et voyages dans des pays exotiques. Il n'y a pas d'Allemands, il n'y a pas de conflits, nous ne parlons pas d'actualité. Dans cet ouvrage, nous suivons la vie du groom au début de la Seconde Guerre mondiale, l'auteur français nous montre Spirou aux prises avec l'invasion allemande: l'hôtel où il travaille est bombardé, un ami juif allemand est déporté en France de peur d'être un espion, il perd le contact avec Kassandra (sa bien-aimée, une jeune fille polonaise); voit un véhicule militaire touché par une bombe à quelques mètres de lui, vit l'occupation militaire, la censure du journal de Fantasio (Le Soir) et bien sur le rationnement. Ainsi se poursuit l'évolution de son personnage, une maturation à travers les difficultés du conflit qui l'amènera à devenir progressivement un peu moins naïf et un peu plus réaliste. La richesse de l'intrigue est équilibrée par la clarté de la conception. Le trait de Bravo provient directement de la ligne claire qui a toujours réussi à la saga. Bravo revient alors en quelque sorte aux origines du personnage, même d’un point de vue esthétique.

Bien sûr, le changement ne sera jamais complet. Spirou est trop bienveillant pour être cynique : il ne renoncera jamais à aider les autres, qu'il s'agisse d'enfants des rues ou de Fantasio, qui continue à avoir des ennuis à poursuivre l'objectif de devenir journaliste et de ne jamais cesser d'être du côté des faibles. Son amour pour la fille lointaine est absolu et platonique comme seul un adolescent romantique peut l’être. Le livre oscille alors entre doux et amer, entre des moments dramatiques qui se fondent dans la farce et des situations qu’une tome de Spirou "normal" aurait résolues d'une manière des plus classiques, mais qui ici entraînerait la mort d’un personnage. Malgré les nombreux gags que Bravo insère dans l'intrigue, l'ombre de la guerre est magnifiée page par page , ce qui confère à l'ouvrage une étrange saveur - très réaliste en réalité - d'angoisse et de légèreté à la fois. Pour que ce sentiment soit encore plus fort, l'auteur s'attache exclusivement aux personnages belges et à leurs alliés . les Allemands qui apparaissent dans la bande dessinée ne sont guère plus que des ombres, des hommes noirs défilant dans les rues et menaçant la population, aussi terribles que soient les récits inventés et exagérés que les enfants racontent à leur sujet. Il semble très clair de quel côté se trouve le dessinateur et avec lui Spirou; la représentation du conflit serait presque manichéenne, bien contre le mal, s’il n’y avait pas de précisions pour saper cette certitude, comme par exemple la déportation de civils allemands par les "bons" ou un geste de générosité ou de respect par les "méchants", qu'ils soient les envahisseurs ou les collaborateurs.