Scénario et dessin : Antoine Schiffers
"Katya" nous plonge en 1998, en pleine guerre de Tchétchénie. Katerina, une femme d'origine tchétchène vivant en Allemagne depuis dix ans, est bouleversée par les images de son pays en ruines. Rongée par l'inquiétude, elle décide de retourner dans son village natal à la recherche de sa fille, Katya. Sur place, elle découvre un territoire dévasté, où la population civile survit dans la peur et la violence de l'armée russe. Dans sa quête désespérée, Katerina croise la route de Malik, un adolescent perdu qui accepte de l'aider dans son périple à moto, au milieu du chaos et des vestiges de la guerre.
Antoine Schiffers aborde avec une maturité étonnante la thématique universelle de la guerre et de ses conséquences sur les civils, en se concentrant particulièrement sur le destin des femmes. Le sous-titre "La guerre. Partout. Toujours." associé à une image d'immeuble en flammes annonce d'emblée la couleur. Si le récit est ancré dans le contexte spécifique de la guerre de Tchétchénie, il résonne malheureusement avec d'autres conflits contemporains, de la Syrie au Soudan. L'auteur ne s'attarde pas sur le contexte historique précis, préférant montrer la désolation à travers son dessin : immeubles éventrés, populations déplacées, tension palpable. L'objectif de Katerina, retrouver sa fille à tout prix ou connaître son sort, devient le moteur d'un récit à la fois intime et profondément tragique. Graphiquement, "Katya" est une œuvre marquante. Le trait d'Antoine Schiffers, bien que parfois qualifié de fin, est d'une grande lisibilité et expressivité, notamment dans la représentation des personnages réduits à des lignes simples mais efficaces. L'utilisation de hachures et de trames pour figurer la pluie ou les décors renforce l'atmosphère pesante. Cependant, c'est l'usage saisissant et original de la couleur qui confère à la bande dessinée une identité visuelle forte. Des teintes de rouge, de rose, de bleu, de vert, de jaune et de gris s'assemblent d'une manière inédite, soulignant l'ambiance sombre et désolée du récit. Certaines planches, comme la séquence de l'usine en ruines, sont particulièrement bluffantes et témoignent du soin apporté à la partie graphique. Le récit progresse au rythme de la quête de Katerina, alternant moments de tension, de désespoir et de rares éclaircies d'humanité. Si l'immersion dans cette ambiance de guerre est totale, certains critiques ont noté quelques longueurs narratives qui peuvent donner l'impression d'insister un peu trop sur l'aspect ténébreux de l'histoire. Néanmoins, ces moments permettent de souligner le poids de l'attente et l'aridité de la situation.
VERDICT
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"Katya" est une bande dessinée marquante et poignante qui ne laissera pas le lecteur indifférent. À travers le prisme de la quête désespérée d'une mère, l'auteur livre un témoignage fort sur la brutalité de la guerre et ses ravages sur les populations civiles.