Scénario : Angux
Dessin : Núria Tamarit
Un jeune guitariste désire vendre son âme au diable à un carrefour en échange de devenir le plus grand guitariste de blues de tous les temps et d'atteindre ainsi l'éternité. Le problème, c'est que le diable ne veut pas de son âme, puisqu'elle est déjà perdue. "Qui paierait pour quelque chose qu'il va obtenir gratuitement en si peu de temps ?" demande le diable. Malgré cela, Avery et M. Spooky McScary parviennent à un accord : puisque son âme est perdue, Avery a jusqu'à la prochaine nuit sans lune pour lui apporter une âme propre et pure au prochain carrefour.
Le scénario est signé Angux, alias Juan Manuel Anguas, qui nous livre ici une histoire assez simple mais qui sait introduire quelques rebondissements très intéressants dans cette légende classique, ainsi qu'une fin totalement inattendue. Une chose vraiment appréciable vient de la documentation historique, à savoir que, sans ressentir le besoin de s'étendre sur le blues ou la période historique, Angux est capable de définir de nombreux éléments de l'époque, tels que les voyages en train, le Ku Klux Klan ou la mention d'autres légendes du blues, ce qui indique que l'auteur sait de quoi il parle. La construction des personnages est très bonne, particulièrement impressionnante l'évolution d'Avery, qui est le personnage principal pour une raison, tout au long des 80 courtes pages de ce livre. Un détail qui a attiré notre attention est que lorsque Avery arrive au carrefour pour vendre son âme, le diable mentionne Robert Johnson, Tommy Johnson, Petey Wheatstraw, Skip James et Clara Smith et demande à Avery ce qui le distingue de toutes ces légendes qu'il admire lui-même. Dernier né d'une longue tradition qui semblait épuisée à l'époque, Avery est un outsider parmi les outsiders. De cette façon, l'écrivain parvient à faire d'Avery un personnage plus marginal que le bluesman moyen, ce qui laisse le terrain parfaitement préparé pour le développement ultérieur de l'intrigue et des personnages. Ce n'est pas un récite avec beaucoup d'autres personnages ; Johnny, le compagnon de voyage d'Avery, est le parfait contrepoint d'Avery et c'est sa relation avec Avery qui le fait évoluer. Il existe une relation très intéressante entre les deux personnages. Ensuite, nous avons le diable, parfaitement représenté par Núria Tamarit (comme le reste de la BD). Enfin, nous avons une série de personnages secondaires utilisés avec parcimonie aux moments critiques de l'histoire qui, comme les seconds rôles d'un film des frères Coen ("O Brother"), apparaissent et disparaissent rapidement de la scène, parfaitement placés pour explorer l'un ou l'autre des aspects de la psyché de nos deux protagonistes. Il est vrai que l'histoire avait suffisamment d'intrigue pour être développée sur plus de pages, peut-être pour avoir exploité un peu plus les personnages secondaires, mais cela ne fait que rendre plus impressionnante la quantité de thèmes dont l'auteur profite pour les traiter, de manière subtextuelle, jamais directe. Des sujets tels que l'alcoolisme, la pauvreté, la religion, le fait d'être noir dans l'Amérique de ces années-là ou même l'identité sexuelle et l'oppression.
Le dessin de Núria Tamarit est tout simplement spectaculaire. Son trait dans cette œuvre est incroyablement expressionniste, notamment dans les apparitions du diable, qui rappelle parfois le Babadook du merveilleux film de Jennifer Kent (lui-même inspiré de Lon Chaney dans " London After Midnight " et du Caligari du film de Robert Wiene). Núria maîtrise parfaitement les éléments de la nature et sa symbolique, alors que les apparitions du diable et ces corbeaux inquiétants qui annoncent sa présence ressortent surtout. Chaque fois qu'il apparaît sur la page, tout devient plus surnaturel et fantomatique. Le trait de Núria dans cette bande dessinée est réaliste mais sans être extrêmement détaillé, atteignant le maximum d'expressivité dans ses personnages avec le plus petit détail. La finition au crayon est excellente pour ce type d'histoire, car elle traduit parfaitement la saleté de la route et l'atmosphère décadente des bars. Bien sûr, un bon dessin a besoin de bonnes couleurs, et dans ce cas, la palette choisie est parfaite. Une gamme de couleurs réduite, très bien équilibrée dans les tons bruns qui nous rappelle les photographies des années de la Grande Dépression par des auteurs comme Walker Evans.
VERDICT
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Même si vous n'aimez pas le blues et le folklore américain, lisez-le. Avery's Blues vous laissera un bon arrière-goût une fois que vous l'aurez terminé.